L’interview de Lessya Tyshkovska avec Alexis Terziev

Ма vie
il y a longtemps
a été transformé
en chef-d’œuvre.
Mais qui me crée ?

D’où es-tu ? Où as-tu grandi ?

Mes ancêtres viennent de Pologne : ma grand-mère – Bogoyavlenskaya, mon père – Tyshkovskij, et ma mère – Kaminskaya. Je suis née à Kiev, pas loin du la Porte d’Or, presque au cœur de la ville, où j’ai vécu la plus grande partie de ma vie. J’ai aussi vécu périodiquement à Minsk, Moscou, Saint-Petersbourg et Tbilissi.

Où as-tu fait tes études ?

A l’université de Kiev du nom de Taras Shevchenko pendant huit ans – cinq ans au département de philologie, en section « Langue russe et littérature », trois ans en doctorat au bout desquels j’ai enfin pris sur moi et au lieu de poèmes j’ai commencé à écrire ma thèse sur « La mythologie dans la poésie de Marina Tsvetaieva ». Cela m’a pris trois mois. Etant ravie de la rapidité avec laquelle j’avais effectué ce travail, je me préparais à le défendre quand mon directeur de thèse me fit remarquer qu’il fallait absolument s’en rapporter à l’autorité des autres érudits ayant traité ce sujet. J’ai alors consacré deux ans aux citations que j’ai méticuleusement insérées au tissu de mon travail principal. La soutenance ressemblait à une sortie sur la scène, avec des fleurs et des applaudissements, brillante et pleine de succès. Elle fut reçue à l’unanimité générale du jury. Cependant après une année j’ai reçu un refus de la VAK (Organisation bureaucratique de validation des diplômes supérieurs) à cause de la médiocrité de la langue ukrainienne dans l’abstract de la thèse, traduit du russe par un organisme « compétant » (due à « l’ukrainisation » globale du pays, même les travaux sur la littérature russe devaient être traduits en ukrainien). J’ai du le faire retraduire dans un ukrainien plus au gout du jour.
Et sans changer une ligne de ma thèse, j’ai été obligée de la soutenir une deuxième fois. Ce fut très ennuyant et absolument pas brillant. J’ai « bachoté » mes propres phrases en m’auto-citant. Bien sur, j’ai finalement obtenu mon diplôme. Mais de ce temps là, je n’ai lu aucun livre philologique. J’ai aussi refusé d’enseigner la littérature étrangère à l’université linguistique, parce que ce n’était pas mon profil. Finalement, j’ai perdu tout intérêt pour la théorie de la poésie, mais pas pour la pratique !

Comment en es-tu venue à la poésie ? Te rappelles-tu de ton premier poème ? De tes premières publications?

Je me rappelle de mon premier poème parfaitement, quant au fait d’être stupide, elle pourrait être comparée avec les meilleurs échantillons de l’art primitif. Je l’ai écrite à six ans.

Papa est arrivé – hourra, hourra, hourra !
Je l’aime vraiment énormément – oui da, oui da, oui da
Papa a apporté la joie – à moi, à moi, à moi
Et apportés des cadeaux – à moi, à moi, à moi

Ma première publication est apparue inopinément dans un journal très étrange dont je n’avais jamais entendu parler. Ce journal s’appelait « le milicien soviétique ». Comment ma poésie que je nommais à cette époque « Mon lyrique de Non-amour » a pu se retrouver dans un tel journal, cela est toujours resté une énigme pour moi. Je n’ai jamais écrit de poésie ni sociale, ni d’actualité.
La première vraie publication est apparue à Moscou dans « L’anthologie de vers libres russes ». Les magazines de Kiev qui n’avaient pas voulu m’imprimer jusqu’à cela, profitèrent de l’occasion pour se raccrocher aux wagons. En 1992 mon premier recueil de poésies est paru « Les rêves au bord de la vie » que j’ai présenté sur scène. Ainsi, mon rêve d’enfance – la scène – a progressivement commencé à se réaliser. A propos à l’issue de mes études secondaires ayant inclus le conservatoire de musique et l’atelier théâtral, j’ai voulu intégrer l’institut théâtral de St-Petersburg mais j’ai découvert à temps mon amour pour la littérature et la langue. Huit ans plus tard un musicien renommé (dont j’avais fait la connaissance quelques années auparavant à l’occasion d’un festival d’art d’avant-garde où j’étais invitée fréquemment avant la séparation de l’Ukraine et de la Russie) qui venait de créer un cours de plastique, rythmique et paroles, m’a offert d’y participer sans examens. J’ai refusé. Pas parce que je me considérait trop mure mais parce que je me suis marié cette année avec Minsk !

Où te menèrent tes premiers vers ? Est-ce devenue ton activité professionnelle ?

Si l’on suit les lignes de Marina Tsvetaieva – « Le poète engage son discours de loin. Le discours mène loin le poète », alors il est possible de dire que la poésie m’a amené loin – au théâtre, à mon rêve d’enfance. Premièrement, en perdant intérêt pour la théorie et l’analyse des œuvres des autres, j’ai continué à écrire des vers, en publiant livres après livres, je suis entré à l’Union des Ecrivains d’Ukraine, je me suis aussi essayé dans la prose, en répétant après Pouchkine : « les années inclinent à la prose sévère ». Quand mes récits ont étés publiés dans des journaux populaires qui payaient étonnamment bien, je sortais quelques temps du statut de « chômeur »; comme dans les périodes de concerts que j’interprétais avec des musiciens de jazz, de spectacles au théâtre ou de tournages de film. Mes passages à la scène pour présenter mes vers et mes chansons ont finis par me faire entrer à la guilde d’acteurs d’Ukraine. Et un jour merveilleux, comme par miracle, le téléphone sonna et un réalisateur renommé me proposa le rôle principal de son film. Ce film passait régulièrement sur les écrans ukrainiens. En parallèle j’ai travaillé au théâtre avec mes propres vers et chansons, et mes spectacles tel que, par exemple, « Tao d’imperfection », que j’ai mis en scène en accord avec mon livre « Vue sur l’Est ». Jusqu’à aujourd’hui, je suis resté fidèle à l’habitude de présenter la sortie de chaque livre à travers un spectacle. Et un de derniers a été nommé « le Papillon sur le baobab » – du même nom que l’ouvrage dont il est issu.

Qu’est-ce qui s’est passé avec ta poésie pendant tes projets cinématographiques et théâtraux ? T’a-t’elle accompagnée comme ton ombre ? T’est-elle restée fidèle malgré ta nature inconstante ?

Suivie parfois, plutôt par curiosité que par fidélité. Mais le plus souvent elle se détournait et partait, comme si, pour toujours. Par exemple, quand j’ai écrit ma thèse – je ne me rappelle d’aucun bon poème. Quand j’ai participé à un tournage, j’ai écrit une chanson triste sur le destin d’une actrice, c’est-à-dire moi-même. Le théâtre m’a toujours plus inspiré. Mais tout de même – pour la poésie la solitude, la concentration et, dans un certaine mesure, l’ascèse sont nécessaires. Alors, dans ce temps là, le canal d’énergie créatrice pure n’est perturbé ni par les admirateurs ni par les contempteurs (heureusement peu nombreux)

Quel est ton regard sur la poésie d’aujourd’hui ? Quels sont tes poètes favoris ?

La poésie d’aujourd’hui, en absence de censure, étend ses ailes et explore toutes les directions possibles. Du point de vue du fond, les barrières stylistiques et lexicales ont disparu. La vulgarité et parfois même la grossièreté prospèrent et provoquent de charmants sourires, particulièrement chez les habitants des grandes agglomérations. Tout rime avec tout. On n’étonne plus personne avec l’éclectisme stylistique. Du point de vue de la forme, la liberté s’exprime par l’éloignement exponentiel de la métrique classique, particulièrement le système syllabo-tonique et ont été marqués par la transition vers les vers-libres. Je dis ainsi non pas parce que je suis entrée dans les anthologies de vers-libre et fréquenté ces festivals mais parce que parfois j’aime utiliser ces vielles métriques que sont les ïambe, amphibraque, anapeste et cetera, comme les vielles robes dans l’armoire qui sont démodées depuis longtemps mais n’ont pas perdu leur élégance. De plus, je vois les vers libres comme une structure plutôt mobile, qui s’associe beaucoup mieux avec l’ère du verseau dans laquelle est entrée notre planète, époque aérienne capable de s’élever au-dessus du monde matériel. Je trouve les vers libres moins matériels que le mètre classique. Cependant, je lis avec plaisir et même préfère, par exemple, la poésie de Bella Akhmadulina, classique et en même temps inimitable, ou moins connu, le méta-métaphoriste Ivan Jdanov, dans lequel le classique est plus moderne que n’importe quel vers libre, ou beaucoup d’autres poètes préférant le rythme et la rime plutôt que la libre voltige des vers libres. Parmi la poésie du siècle d’argent, je préfère surtout Ossip Mandelshtame pour une incomparable acuité du monde des objets, la profondeur et la transparence duquel permet de les transférer au statut d’abstraction et la désintégration de cette dernière en détails concrets, et aussi pour l’effacement de la frontière entre l’imaginaire et le réel, et pour le chevauchement dans une même formule verbale d’incompatibles. Malgré toutes ces préférences, j’ai consacré à Tsvétaïeva dix ans de ma vie, à écrire des articles sur son rythme déchiré – les syncopes de son cœur inextinguible – à composer des chansons sur ses textes et à me perdre dans des conférences scientifiques où j’éprouvais sa primordialité dans la poésie russe. Dans la poésie française, je suis attiré par Saint-John Perse, par son baroque parfumé, dont le voile cache la promesse de nouveaux fruits. Et ces dernières années, comme écrivait Pasternak « Au bout du chemin, tu succomberas à l’hérésie d’une vaste simplicité  » : chaque fois en ouvrant Pouchkine je tombe d’admiration.

De la reconnaissance des poètes. Est-ce pour toi une question d’actualité ?

Il y a peu de chance que je puisse répondre objectivement à cette question. Ce que je vois et ressens, c’est la nécessité de l’écho qui permet au poète de parler non-pas avec le vide mais avec l’Autre, qui lui initie et inspire ces nouvelles œuvres. Tant qu’il y a quelqu’un pour qui écrire … Quant à la gloire, l’année dernière, j’ai participé au festival Voloshinskij en Crimée, où le directeur d’un nouveau magazine de luxe affirmait que les poètes doivent être populaires, comme dans les années soixante, quand les poètes remplissaient les stades. Je ne sais pas, peut-être… Pour moi, le vrai poète est toujours un être antisocial ce qui contredit, bien sûr, les biographies des poètes diplomates. Mon idéal du poète est Gourou, rempli par la sagesse qu’il amasse au cours des années dans le navire précieux de son cœur et qu’il est prêt à partager avec le premier qui le lui demandera. Partager, au lieu d’imposer.

T’est-il arrivé une histoire ridicule en connexion avec l’art ?

Hormis les nombreuses anecdotes qui remplissent chacun de mes projets (en commençant par « Le milicien soviétique » et en s’achèvement par la présentation de mon CD « Le monde Invisible » qui par hasard eu lieu le même jour que l’intronisation du président Iouchtchenko, mais, et de nouveau accidentellement, en ayant choisi comme couleur des décors la gamme symbolique de son adversaire Yanukovich), la plaisanterie la plus étrange que le destin me fit est ma vie d’aujourd’hui avec un mari qui non seulement ne comprend pas mes vers, mais tout simplement ne parle pas russe. Voici pour l’écho !

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