А propos

Lessya Tyshkovska
est née à Kiev. Membre de l’Union des Écrivains d’Ukraine, diplômée de l’Université de T. Chevtchenko, suite au soutien de sa thèse « La mythologie de Marina Tsvetaeva », ce docteur en philologie a trouvé sa voie dans le théâtre et le cinéma. Elle a réalisé ainsi son rêve d’enfance, être actrice. La carrière professionnelle de Lessya est ponctuée de livres et d’albums musicaux. Ses créations se composent de six recueils de poésie et deux CD qu’elle a édités, les présentant alors comme metteur en scène et actrice. Avec le temps, elle a baptisé ses préstations scéniques « Le théâtre d’un Auteur» .

ALLOCUTION

Messieurs et Mesdames, Mesdames et Enfants, des choses étonnantes se passent sur la terre.

Je l’ai appris en regardant dans les yeux d’un baladin qui a exposé son visage au souffle du changement et s’est transformé en Maître. Il disait que notre terre avait appris à métamorphoser ses contours, et les êtres qui la peuplent – nous autres – à changer leurs formes et celles de leur environnement. Et qu’il suffisait pour cela de prononcer un Mot, voire simplement de l’imaginer.

Il disait qu’à notre amour et à notre haine, il manque la prudence pour retenir les torrents qui jaillissent des sommets de notre orgueil et réduisent à néant notre désir d’atteindre le ciel.

Que les offenses accumulées se transformeront en pierres et les esprits adverses en sisyphes les poussant vers des faîtes inaccessibles : les pierres les forceront sans cesse à retourner au pied des monts. Et ceux qui continueront à s’échiner malgré tout, vieilliront avant de pouvoir grandir.

Que n’importe quel mot semé au vent s’incarne en vol et germe dans les airs, s’enracinant dans la conscience de ceux qui se sont trouvés là au moment où il a été prononcé.
Et que cette incarnation est joyeuse pour les uns et triste pour les autres et se produit avant que le parleur ne puisse se raviser, reprendre ses paroles afin de rédiger ses sentiments imparfaits et remettre à ses interlocuteurs de jolis ikebanas au lieu de ces graines jetées hâtivement au visage. Et la vitesse d’incarnation du raisonnable, du bon et de l’éternel dépend de la concentration de nos pensées, de nos sentiments et de nos intentions.

Messieurs et Mesdames, Mesdames et Enfants.
Tout cela, je l’ai entendu en regardant dans les yeux de l’un de mes reflets, et je voudrais m’adresser à vous tant que vous partagez avec moi un espace de vie où la vision et l’ouïe sont les intermédiaires les plus accessibles entre nos pensées et nos désirs :

Ne partez pas avant d’avoir formé ne serait-ce qu’une seule fleur avec vos paroles pour l’offrir à l’Autre !
Ne vous détournez pas les uns des autres sans découvrir chez votre vis-à-vis une pousse prête à éclore de ce que vous lui donnerez, vous qui possédez le don divin de créer votre entourage. Vous, qui êtes capables de nourrir en l’autre cette pousse en arbre gigantesque, qui vous offrira l’ombre où vous pourrez vous reposer, quittant le champ de bataille, où s’agitent les formules jetées au vent.

Et quand celui que j’ai su voir en face de moi s’est tu et a fermé les yeux – ayant dit tout ce qu’il voulait dire – moi aussi, j’ai fermé les miens pour mieux voir ce qui était caché sous ses paupières. Et je m’y suis reconnue, ainsi que mes reflets, avec les visages de mes amis et de mes bien-aimés. Même ceux dont je me souvenais seulement quand ils m’effleuraient de leur souffle. Ils erraient dans le vide et chacun y cherchait son Mot qu’il faut prononcer pour cultiver le merveilleux Jardin rempli du parfum de l’amour, le don le plus précieux qui justifie notre venue. Nous venons et nous repartons pour prendre et donner, garder et réunir, mais aussi pour laisser partir ce qui est destiné à partir afin de créer ce nouveau jour qui commence par une feuille blanche.
Lessya Tyshkovska